Les Murs à pêches de Montreuil

Montreuil fait partie du département de la Seine-Saint-Denis, mais les Parisiens s’y rendent par la ligne 9 du métro sans se rendre compte qu’ils ont franchi la frontière du périphérique.  

Montreuil ville-monde

Pourtant, Montreuil fait historiquement partie de ce qu’on appelait la ceinture rouge de la capitale. Malgré la désindustrialisation, la ville est encore dirigée par un membre du parti communiste après un intermède écologiste (qu’explique l’arrivée récente de Parisiens des classes moyennes chassés du centre par le coût du logement). Des voies publiques s’appellent toujours rue Babeuf, avenue de la Résistance, avenue Salvador Allende, rue Robespierre, alors qu’il n’y en a pas à Paris.

Montreuil est une terre d’accueil pour les migrants. Les nationalités du monde entier s’y accumulent sans toujours se mélanger, Portugais et Maghrébins sont très représentés. Une communauté manouche importante est installée depuis longtemps dans la ville, des Roms de Roumanie sont arrivés, non sans tension. 10 % de la population de la ville est malienne ou d’origine malienne. Montreuil, ai-je entendu, c’est Bamako-sur-Seine.

Jusqu’à aujourd’hui, l’accueil et la protection des étrangers, la lutte pour leurs droits, l’aide aux populations fragiles restent un axe revendiqué par les responsables de la ville. L’aide est d’autant plus indispensable que les usines ont disparu et avec elles, le travail.

Des initiatives moins institutionnelles doublent ce réseau d’aides publiques. Les militants ne se lassent pas de répéter que s’il y a de la violence et des trafics c’est d’abord à cause de la misère et que les gens qui ont atterri à Montreuil ont d’abord besoin de solidarité.

Sur le plateau du Haut-Montreuil, c’est l’agriculture qui s’est effondrée. Des hectares de terres sont à l’abandon. Dans les friches des Roms se sont installés. Quand on passe rue Saint-Antoine, on voit des jardins retournés à l’état sauvage, et on entr’aperçoit dans l’ombre des cabanes de planches et de tôles et de vieilles ferrailles.

Histoire des Murs à pêches du Haut-Montreuil

Un peu plus bas se trouve la longue impasse Gobetue qui dessert des parcelles le plus souvent orientées nord-sud, enfermées dans des murs blancs. C’est le cœur de ce qui reste des Murs à pêches, symbole de l’horticulture montreuilloise.

Ces murs sont un sous-produit de l’extraction du gypse dans les coteaux de Montreuil. A partir de la fin du 18e siècle de grandes carrières se développent. Ces plâtrières génèrent des déchets qui ont été récupérés pour édifier les fameux murs pour l’agriculture. En effet, le gypse, roche tendre et bon marché, est un matériau dans lequel il est facile de planter les clous qui permettent de fixer des treillages ou d’autres liens nécessaires pour accrocher des arbres. Plaqués contre les murs, ceux-ci sont protégés du vent et récupèrent durant la nuit la chaleur emmagasinée dans la journée.

Les horticulteurs de Montreuil se débrouillent pour que les deux faces des murs soient successivement exposées, du matin jusqu’à midi pour le coté du « levant » et l’après-midi pour le « couchant ».

Des artistes du palissage

Le palissage est pratiqué depuis longtemps. En 1612, un manuel de François Gentil, Le Jardinier solitaire, conseille d’utiliser la technique du palissage sur mur afin d’obtenir des pêches en région parisienne, bien qu’il s’agisse encore de palissage sur treillages. Plus tard, vers 1665, Jean de la Quintinie, le responsable du Potager de Louis XIV à Versailles, vient à Montreuil et y recrute des spécialistes déjà réputés pour soigner les pêchers, notamment le montreuillois Nicolas Pépin dont le nom est resté. A l’imitation des arboriculteurs de Montreuil, il fait entourer de murs plâtrés plusieurs des carrés versaillais.

Les arboriculteurs de Montreuil produisaient des pêches de plus de 400 grammes si renommées qu’elles étaient servies à la table des principales cours européennes, cour du roi Louis XIV, mais aussi du roi de Prusse, du Tsar, etc. Grâce à Marie-Rose Simoni Aurembou, l’ouvrage d’un autre expert, publié en 1771, après sa mort, est bien connu. Il s’agit du Discours sur Montreuil. Histoire des murs à pêches, de Roger Schabol. Le livre comporte un précieux glossaire et une description précise des techniques utilisées. J’aime bien la façon dont cet amoureux des jardins recueille avec soin et respect les expressions des cultivateurs de Montreuil en notant à plusieurs reprises que leurs expressions et leurs termes sont « très-beaux » :

C’est dans le même sens qu’on dit encore, & ce mot est très-beau , laisser jetter son feu, en parlant de la seve , lorsqu’on laisse à un arbre beaucoup de bois surnuméraires, dont aussi on le débarrasse par après (p.LXIII)

Il décrit notamment Le palissage à la diable qui consistait en une répartition équilibrée à partir de deux branches charpentières, guidées en oblique, ainsi que le palissage à la loque réalisé avec des chiffons récupérés chez les tailleurs de la rue de Paris. Avec ces bandes d’étoffe on fixait les branches aux murs sans risque de serrer trop et donc de blesser les rameaux.

Abbé Roger Schabol.  arbre tout taillé , & palissé à la loque , & où ont été récepées par en bas les branches trop proches

Six-cents kilomètres de murs

Un pêcher palissé pouvait produire 400 kg de fruits. De nouvelles variétés de pêches sont créées à Montreuil, comme la Prince of Wales, la Grosse Mignonne ou la Téton de Vénus. Un siècle plus tard, le témoignage de Louis Aubin, fils de jardinier, lui-même jardinier, a permis aussi de conserver la mémoire d’horticulteurs doués, comme ce Joseph Beausse dont la « Belle Beausse », mûrit la première quinzaine de septembre ou ce Gustave Guyot qui nomme sa « Belle Henri Pinault », en hommage à son ami Henri Pinault. Vers 1825 la récolte atteint quinze millions de pêches produites sur six cents kilomètres de murs.

En 1907, près de 300 hectares sur les 900 que compte la ville sont consacrés à l’agriculture.


https://journals.openedition.org/ephaistos/288)

La production fruitière était la production principale, mais l’espace central des parcelles était utilisé pour cultiver des fleurs, des plantes médicinales ou des légumes.

Les batailles de la MAP (Murs A Pêches)

Cependant, là comme ailleurs, à la fin du 19ème siècle, la grande époque de Montreuil aux pêches se termine avec l’accélération des transports : les chemins de fer permettent aux pêches de Provence d’arriver à Paris avant la maturité des pêches de Montreuil.

En 1953, une surface de 50 ha était encore classée en zone horticole protégée. En 1994, cette zone est transformée en zone urbanisable à 80 %. (Ce n’est pas la peine d’imaginer des turpitudes et il est sans doute difficile d’arbitrer entre le besoin de logements et la lutte contre le bétonnage des terres agricoles qui mobilise les écologistes !) C’est donc pour ce passé, antérieur au développement industriel de Montreuil, que se bat l’association des Murs à pêches, (MAP) . L’association arrache, en 2003, le classement de 8 hectares et en 2018 le renoncement à un second projet de cession de deux hectares au groupe Bouygues (Victor Tassey, 2018, Le Parisien). En 2020, les Murs à pêches obtiennent la labellisation « Patrimoine d’intérêt régional » par le Conseil régional d’Ile-de-France, puis la Fondation du patrimoine accorde au site une aide financière de 300 000€, la plus grosse dotation de la région, auxquels s’ajoutent un chèque de mécénat culturel de 50 000€ signé par la Française des jeux et l’ouverture d’une souscription populaire pour récolter 70 000€ supplémentaires.

Tous aux jardins !

Dans certaines parcelles, musiciens, marionnettistes, conteurs… s’agitent comme de beaux diables pour que vive une culture populaire. Amis, enfants, passants s’installent. Il suffit d’une corde et de quelques pinces à linge pour fabriquer un rideau de scène :

Les parcelles laissées aux agriculteurs s’autogèrent quitte à ce que quelqu’un pousse une gueulante quand des utilisateurs négligents oublient par exemple de fermer une porte.

Avertissement signé Patrick Fontaine

Patrick Fontaine représente l’élite des cultivateurs de parcelles et tient à le faire savoir. Les prix qu’il a gagnés sont affichés sur la porte du cabanon de son verger.

Sa parcelle qui n’est pas grande est une merveille de rationalité, Les espèces se succèdent, variétés précoces, variétés tardives et chaque centimètre de mur est utilisé. Le dessin explique très  bien comment on peut même trouver la place d’un poulailler (en bas à droite du dessin) dans cet espace en réduction !

Détail du plan de la parcelle de Philippe Fontaine. Côté Sud

Il cultive – surtout des pommiers et des poiriers – avec les techniques du passé, c’est-à-dire en utilisant le fameux palissage.

En juin, ses fruits qui commencent à se former sont soigneusement protégés. J’imagine Patrick Fontaine surveillant ses belles pommes pour les cueillir à maturité. Il n’y a rien de comparable entre l’attente du jardinier qui attend avec concupiscence que sa pomme Rose-de-Brie soit mûre et les amas de fruits qu’on vient acheter dans les supermarchés. Cette joie de la cueillette, il s’est donné les moyens de la renouveler au fil des semaines en fonction des variétés précoces ou tardives qu’il a plantées.

Le beau fruit sous son voile
Pommier Belle de Pontoise

Ses voisins sont moins savants et moins acharnés dans l’art du bêchage. Le jardin médiéval est un peu décoiffé, et mauvaises herbes et coquelicots y poussent en paix, ce qui pour un jardinier méthodique doit être un scandale ! De vieilles dames passent en riant. Les enfants courent partout. J’aime beaucoup les légumes qui grandissent dans des couffins à même le sol.

Jardin médiéval. Fèves et bardane

Nous n’arrivons pas à nous passionner pour l’exposition organisée dans une des parcelles, Expo Land Art aux Murs à Pêches, encore visible le 27 juin. Tout de même, une petite halte devant le dispositif imaginé par Eugenia Reznik, émigrée de son Ukraine natale et installée au Québec. L’Atlas des plantes déracinées ce sont de vieilles valises, remplies de terre et de fleurs, et abandonnées dans la prairie. On peut avec un téléphone portable cocher un QRcode et écouter son histoire de migration. 

Tout ça, c’est Montreuil, ville révoltée et ville heureuse, avec ce qu’il faut d’idéalisme pour faire vivre de petites utopies.

Bibliographie

AUDUC Arlette et al, 2016, Montreuil, Patrimoine Horticole. Hrsg. vom Service patrimoines et Inventaire der Région Île-de-France. Paris

GAULIN Chantal, Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, vols 30 3et4

Gaulin Chantal

Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliquée  Année 1983  30-3-4  p. 320

GENTIL, François, 1612, dit frère), Le jardinier solitaire, ou dialogues entre un curieux et un jardinier solitaire. (Paris,1612) Le Jardinier solitaire, ou dialogues entre un curieux et un jardinier solitaire 

LAFARGE,  Ivan, Les murs à palisser « à la Montreuil. In:  e-Phaïstos, I-1 | 2012, 79-87 https://journals.openedition.org/ephaistos/288 [En ligne], I-1 | 2012, mis en ligne le 01 janvier 2015, ? 1750 ?Discours sur le village de Montreuil, 1750.

SCHABOL, Roger, (abbé) , 1771, et texte inédit de Louis Aubin, 1933, édition Lume, 2009 (http://www.lume.fr/ [archive]).  La théorie et la pratique du jardinage et de l’agriculture … ; le tout précédé d’un dictionnaire servant d’introduction à tout l’ouvrage, & qui forme le premier tome, par M. l’abbé Roger Schabol.

SCHABOL, Jean-Roger. 1767, Discours sur Montreuil. Histoire des murs à pêches,

SCHABOL Roger (abbé), La théorie et la pratique du jardinage et de l’agriculture, par principes et démontrées d’après la physique des végétaux, Paris 1767, p 322, selon cet auteur cette pratique serait apparue vers 1620.

www.jardin-ecole.com/newsitejardin-ecole

https://mursapeches.blog/

Vous pouvez visiter des parcelles : https://racinesenville.wordpress.com/au-jardin/

http://jardinons-ensemble.org/spip.php?article250

https://www.parcsetjardins.fr/jardins/1733-jardin-de-la-lune (d’inspiration médiévale)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mur_%C3%A0_p%C3%AAches

https://mursapeches.blog/qui-sommes-nous/lhistoire-des-murs/

https://www.wikiwand.com/fr/Mur_%C3%A0_p%C3%AAches

7 réflexions sur “Les Murs à pêches de Montreuil

  1. C’est un visage bien insolite de Montreuil, ville plus connue pour la diversité culturelle de ses habitants que pour ses traditions horticoles.
    Au cœur d’une ville monde cette persévérance d’une tradition ancestrale à quelque chose de symbolique d’un passé qui resiste encore.
    Mais je ne peux m’empêcher d’avoir la nostalgie des promenades corses…

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    • Le passé qui résiste ? Oui et il a laissé des traces, mais quand on rend visite aux murs à pêches, il me semble qu’on croise surtout les nouveaux habitants, les petits bourgeois et les fonctionnaires qui aiment l’écologie et la culture. Ils réinventent les « traditions » pour notre plaisir.
      Tout cela donne l’impression de deux villes qui coexistent sans se croiser. Mais je me trompe sans doute.

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